Devenir un stéréotype

“C’est moi, la vraie Bénédicta! C’est moi, une fameuse canaille! Et pour la punition de ta folie et de ton aveuglement, tu m’aimeras telle que je suis!”

Laquelle est la vraie? – Charles Baudelaire

Laquelle est la vraie ?

À gauche, Paris Hilton, héritière de BB, précurseuse de Kim Kardashian, idéal suprême de beauté des années 2000. À droite, un homme, Gigi Gorgeous qui, de garçon gay youtuber est devenu influenceur plastique. (source)

La stéréotypie est une technique d’impression mise au point au 18ème siècle. Un stéréotype est une plaque de métal solide où les lettres et les illustrations sont étroitement assemblées pour être reproduites à l’infinie sur papier.

Métaphoriquement, un stéréotype est un cliché de préjugés. Vision préconçue et simplifiée à l’extrême de la réalité, un stéréotype est une image qui n’existe que dans notre esprit. En ce qui concerne le sexe, les stéréotypes sont des plaques rigides qui contraignent la vie des femmes et des filles, nous réduisant à un moule produit en série.

Mais si la réalité était modelée pour correspondre au stéréotype ? Alors, les stéréotypes ne seraient plus des images formées dans l’esprit d’une personne, mais de simples observations de la réalité, comme des photographies. C’est ce qui passe aujourd’hui alors que des femmes de plus en plus jeunes – parfois même des adolescentes – ont recours à toutes sortes de chirurgies pour correspondre aux stéréotypes attribués aux femmes. En ce qui concerne les normes de beauté, nous sommes passées de Paris Hilton, où elle « suffisait » de s’affamer pour émuler son idole, à Kim Kardashian, dont les proportions sont naturellement impossibles à atteindre.

C’est un renversement complet, non seulement parce que c’est la réalité qui essaie de correspondre à l’image, mais aussi parce que des femmes en parfaite santé sont qualifiées de malades uniquement parce qu’elles ne correspondent pas aux stéréotypes – ce que Naomi Wolf avait déjà constaté dans Quand la beauté fait mal (The Beauty Myth) de 1991. Au lieu de s’attaquer aux stéréotypes, nous femmes sommes attaquées.

Les stéréotypes féminins sont présentés comme immuables, à tel point qu’ils ont été confondus avec la féminité elle-même. Cet aspect est d’autant plus évident dans la langue française où elle n’y a plus de distinction entre féminité entendue comme l’être femme et féminité comprise comme paillettes et maquillage. Le sens neutre de « féminité » qui serait tout simplement « propre à une femme » est totalement perdu.

Les filles qui ne veulent pas être associées à ces stéréotypes sont présentées comme ne voulant pas être des femmes du tout et sont dirigées vers des « cliniques d’identité de genre » [gender identity clinics en anglais, ndlt] qui ne sont rien d’autre que des cliniques de stéréotypes sexuels.

Hier l’hystérie, aujourd’hui la dysphorie 

Autant de maladies imaginaires pour des malaises sociétaux bien réelles. Dans les deux cas, les femmes sommes « soignées » de façon sexuelle : violences souvent dans le premier, mutilations dans le second. (Image 1, image 2)

Échanges de sexe

Nous femmes ne sommes pas les seules à être entraînées dans ce mouvement d’adoption des stéréotypes associés au sexe opposé, les hommes le sont aussi. Une autre tendance contemporaine importante est la suivante : les stéréotypes restent, les sexes changent. Pour visualiser, on pourrait penser aux stéréotypes comme des enclos rigides (rappelez-vous des plaques de métal) mais dont les gens pourraient entrer et sortir à leur guise — du moment qu’ils restent toujours dans l’un.

Voici un exemple : la mannequin Chella Man (en bleu) est une femme et l’acteur MJ Rodriguez (en jaune) est un homme, mais nous sommes censés croire le contraire. Pourquoi ? Simplement à cause de leurs vêtements, de leurs maniérismes, de leur coiffure – des stéréotypes.

Autre exemple, local cette fois. Le chanteur Bilal Hassani s’est d’abord fait connaître en tant que youtubeur gay. Sa notoriété a explosé après sa participation à l’Eurovision, événement culturel international majeur et donc socio-politiquement révélateur. Il a par la suite progressivement changé de style, en s’allongeant les cheveux, mettant plus de talons, des robes. Il a fini par se déclarer « non-binaire ».

Pour rester dans l’Eurovision, regardons attentivement l’image suivante, tirée de l’édition 2019. Toutes les grandes stars du programme y sont présentes. On nous assène que notre liberté en tant que femmes, et en tant que société, réside dans la capacité de l’homme à l’extrême gauche de s’habiller comme la femme en rose et pour l’homme à l’extrême droite de se moquer de la femme en rose. Mais regardez qui est au milieu ? Cela ressemble tout bonnement au status quo.

Les Gucci Guerriers de la Sainte-LY-Berté

Ces deux tendances peuvent être résumées avec deux affirmations : les stéréotypes sont indissociables du sexe, jouer avec les stéréotypes est libérateur.

L’articulation la plus célèbre de la première affirmation est celle de la théoricienne queer Judith Butler, qui stipule que le genre fait le sexe dans Bodies That Matter (1993). Butler ne nie pas l’existence matérielle de l’être humain, elle affirme plutôt que le sexe n’est pertinent dans la mesure où la discussion au sujet de celui-ci l’est. La meilleure illustration de cette idée, comme le souligne à juste titre Mari Mikkola dans son article sur le débat universitaire sur le sexe et le genre, est le concept d’ « attribution du sexe à la naissance ». Pour Judith Butler, les gynécologues ne font pas qu’annoncer et décrire le sexe d’un nouveau-né, ils le prescrivent.

L’idée que les sexes sont attribués à des humains qui seraient naturellement asexués a été un véritable coup de génie dans l’incessant camouflage du patriarcat. Si on peut attribuer un sexe à des êtres humains, pourquoi ne pas l’attribuer aussi à des objets ? Aujourd’hui, elle est beaucoup plus facile de parler de « vêtements de femmes » ou de « sacs d’hommes » que de femmes et d’hommes tout court : les objets, qui nous sont extérieurs, les véritables enveloppes, et non nos corps, que nous sommes, sont devenus les seuls marqueurs du sexe.

Nous avons ici, comme l’a observé la militante féministe Anna Zobnina, le retour en force de l’individu « neutre », doté de parties détachables : un vagin pour la prostitution, un utérus pour les mères porteuses, un pénis si vous voulez jouer à l’homme, des seins si vous voulez être une femme. C’est comme Monsieur Patate dans Toy Story, un jouet à qui on peut enlever bras/jambes/yeux et chapeau à souhait, mais version je-ne-sais-pas-ce-qui-vous-fait-dire-que-je-suis-un-homme? (Pas ta barbe, je peux en faire pousser aussi, mais ton insolence, que je n’ai pas).

Laquelle est la vraie ? (bis)

De haut en bas : capture d’écran tirée du clip « WAP » (Wet Ass Pussy traduisible par Chatte Carrément Moite) de Cardi B ; image de la série étatsunienne RuPaul Drag Race ; image de RuPaul Drag Race mais version française à Versailles. Stéphane Bern n’était plus assez coloré pour le service public.

Dans son ouvrage La modernité liquide publié en 2000, le sociologue Zygmunt Bauman avait prévu tout ce qui se passe aujourd’hui (évidemment en termes strictement neutres, sinon les hommes n’auraient pas pu le lire):

« L’identité expérimentée, vécue, ne pouvait être maintenue qu’avec la glue du fantasme, voire de la rêverie. Mais face à l’évidence tenace de l’expérience biographique, tout adhésif plus puissant —  une substance ayant plus de pouvoir de fixation que le fantasme facile à dissoudre et à effacer – devient une perspective aussi répugnante que l’absence de rêves éveillés. C’est précisément la raison pour laquelle la mode, comme l’a fait remarquer Efrat Tseëlon, fait si bien l’affaire : juste ce qu’il faut, ni plus, ni moins, que les fantasmes. Elle fournit « des moyens d’explorer les limites sans véritablement s’engager ni en assumer les conséquences ». « Dans les contes de fées », nous rappelle Tseëlon, « la tenue de rêve est la clé qui permet de faire ressortir la véritable identité de la princesse, comme la fée marraine ne le sait que trop bien lorsqu’elle habille Cendrillon pour le bal. »

Face l’évidence tenace de leurs érections matinales et de leurs éjaculations nocturnes, les hommes ont dû s’accrocher aux « vêtements féminins » pour acter leur fantasme de devenir, ne serait-ce que pour une nuit, le cliché d’une femme née de la parthénogenèse de leur propre esprit, sans avoir à en assumer les conséquences quotidiennes.

Elle n’est donc pas surprenante que la « révolution du genre » ou gender revolution en anglais soit menée par l’industrie de la mode, grande pourvoyeuse de stéréotypes sexuels et exemple parfait de collaboration entre hommes hétérosexuels et homosexuels pour livrer la femme prête-à-porter dont ils rêvent. Avec « trans », la trinité est complète. Les accessoires superficiels sont essentiels pour révéler le « moi intérieur », comme le dit Bauman : on n’achète pas seulement des objets, mais une identité (de genre). On peut acquérir des vêtements « d’affirmation de genre » (gender affirming en anglais) non pas pour s’habiller comme mais pour devenir un homme, une femme ou quelque chose. « T’aimes mes cheveux ? Merci, je viens de les acheter », chante la pop star Ariana Grande. « J’avais également récemment acheté un nouveau vagin », écrit l’auteur Andrea Long-Chu dans Femelles (Females) (2019). Ce n’est pas le sexe qui vend, ce sont les hommes qui achètent le sexe féminin. Ils avaient la prostitution, maintenant ils ont des chirurgies.

Capture d’écran d’un site canadien d’ « expression et d’affirmation de genre ».

Zygmunt Bauman cite ensuite le sociologue Harvie Ferguson :

« Dans l’ère postmoderne, toutes les distinctions deviennent fluides, les frontières se dissolvent, et tout peut tout aussi bien sembler être son contraire ; l’ironie devient le sentiment perpétuel que les choses pourraient être un tant soit peu différentes, mais jamais ou fondamentalement radicalement différentes […] l’ « ère de l’ironie » a été dépassée par l’« ère du glamour » dans lequel l’apparence est consacrée comme seule réalité… » [propre traduction, ndlt]

Ce ne sont plus ces pauvres chromosomes internes et invisibles, et encore moins les tristes chromosomes XY incomplets qui déterminent le sexe – c’est le maquillage. L’image d’une femme est tout ce qu’elle y a à savoir sur elle : elle est superficielle, elle n’y a rien au-delà de son apparence, rien de substantiel – en fait, non, l’apparence est la substance, énième renversement.

Si tout cela vous semble trop abstrait ou capillotracté, lisez ceci : dans un récent procès contre Miss USA, un homme du nom d’Anita Noelle Green a soutenu « Je suis une femme biologique parce que je corresponds au stéréotype féminin » pour être admis au concours de beauté. Dans la pensée butlerienne donc, la vue est tout aussi importante que le discours pour déterminer les sexes.

Laquelle est la vraie ? (tris)

En haut les jumelles Clermont. Dans leur légende Instagram, elles remercient dûment leur « Créateur » : « Corps chef d’œuvre. Il bouffe du Van Gogh. Merci beaucoup @gauravguptaofficial pour ces vêtements sur mesure et pour un show fabuleux. ». En bas : poupées masturbatoires Real Dolls (véritables poupées en français).

Mirages

C’est la revendication libertaire qui est vraiment troublante. Peu importe qu’elle faille désormais de l’argent pour être une femme, que la distinction entre sexe et stéréotypes qui a permis aux féministes de démonter le mythe d’une obscure fatalité biologique soit à nouveau effacée, que la sexuation des objets fasse écho à l’objectivation des femmes : l’image est la liberté. Mais la liberté proclamée ici est aussi frêle et illusoire que l’image.

Déjà, c’est la liberté de l’individu au masculin. Janice Raymond l’a souligné elle y a une quarantaine d’années dans L’Empire transsexuel (The Transsexual Empire) (1979) Lorsque les hommes décident d’échapper aux stéréotypes qui leur sont attribués en adoptant une identité féminine, ils font (une fois n’est pas coutume) un choix égoïste en renonçant à une lutte politique contre les rôles sexués oppressifs avec le potentiel de bénéficier à tout le monde.

Culte de l’image

Capture d’image du clip du chanteur Kim Petras qui se présente comme femme et glamourise les traitements dégradants envers les femmes. Ici il prie à l’autel Paris Hilton. (Clip: “I don’t want it all“)

Le fait que l’échange de stéréotypes soit une solution individuelle à court terme face à un problème de longue durée est d’autant plus évident que tout le monde ne peut pas jouer le jeu. En Albanie, les burrnesha, ou « vierges jurées », sont des femmes qui adoptent des stéréotypes masculins, souvent parce qu’elles n’ont pas de frères ou parce qu’elles veulent acquérir certaines libertés, comme sortir dans des cafés. Tout comme dans un conte de fées, elles ne peuvent le faire qu’à une condition : respecter le mythe féminin de la virginité, car la sexualité est précisément l’endroit où la façade de virilité s’effondrerait ; la réalité viendrait à briser le fantasme.

D’ailleurs, seule une minorité de femmes peut devenir burrnesha. Si toutes les femmes décidaient d’utiliser cette échappatoire pour vivre sans craindre la violence des hommes, comment les hommes pourraient-ils distinguer les « vierges jurées » du reste des femmes ? L’exception garantit la règle. Cette société est encore profondément patriarcale, à tel point que les femmes ne peuvent pas être libres en tant que femmes et que les familles ne peuvent pas concevoir une vie sans fils. « Essaye d’être une femme dans ces montagnes » dit la cousine du personnage principal « vierge jurée » dans le livre éponyme d’Elvira Dones – voilà le véritable défi.

Elle pourrait être tentante de suggérer, comme le fait l’anthropologue Ifi Amadiume dans son livre Male Daughter, Female Husbands (1987), où elle étudie une pratique similaire des « filles mâles » dans les communautés Igbo du Nigeria, qu’elle s’agit d’un exemple positif de non-alignement entre sexe et genre. C’est exactement l’inverse : elle y a une hyper-correspondance entre sexe et genre. Un objet ou un trait est si étroitement associé à un sexe que l’adopter, c’est devenir ce sexe. C’est ainsi que naît l’idée saugrenue de « devenir » son véritable Moi, également observée par Bauman.

Burrnesha, filles mâles, maris femmes…

Autant de pratiques parsemées dans le monde et dans le temps mais qui ont en commun l’usage des stéréotypes sexués et qui rendent parfaitement compte des différentiels de pouvoir entre femmes et hommes. Adopter des stéréotypes masculins permettaient aux « female husbands » du 18ème siècle en Angleterre d’obtenir des avantages réservés aux hommes ou d’épouser des femmes. (Source image)

Que le changement de stéréotypes sur un coup de tête puisse être une source de liberté ignore également le but des stéréotypes sexuels. Dans Beauty and Misogyny (2005)[Beauté et Misogynie, ndlt], Sheila Jeffreys démontre comment les rituels de beauté sont des pratiques culturelles qui entérinent le statut subordonné des femmes : les talons hauts rendent une femme vulnérable, les cheveux longs répondent aux fétichismes masculins, le botox est une toxine. En affirmant que les hommes sont tout aussi libres d’adopter des stéréotypes féminins, on adopte une vision égalitaire de l’objectivation. C’est littéralement l’ « égalité de genre ». Pendant longtemps, j’ai cru naïvement que les gens disaient « égalité de genre » parce qu’ils étaient trop timides pour utiliser le mot « sexe » en public. En fait pas du tout : « égalité de genre » veut bien dire égalité entre les stéréotypes sexuels. Le but suprême des philanthropes et de l’ONU est de faire en sorte que femmes et hommes disposent de la même « liberté » de porter des talons aiguilles afin que ceux-ci continuent d’exister sans être remis en question.

ONU stéréotypes
Pour sa campagne de lutte contre le stéréotypes, ONU Femmes a choisi comme ambassadeur un homme se prétendant femmes uniquement à cause des stéréotypes féminins qu’il adopte.

J’ai mentionné les talons aiguilles exprès. Historiquement, ce sont les hommes qui les ont portés en premier, mais leur forme, leur signification et leur fonction étaient entièrement différentes de celles des talons hauts fabriqués plus tard pour les femmes. En Perse, au 10ème siècle, les cavaliers les utilisaient pour maintenir leurs chaussures dans les étriers. Au 17ème siècle, en Europe, les talons hauts sont venus à symboliser le statut social des hommes. Lorsque les femmes ont commencé à les porter, ils sont devenus inconfortables. Et c’est à cause de cette nouvelle association aux femmes, que les hommes ont eux-mêmes arrêté de les mettre. Dans un système patriarcal, le sexe est la variable pertinente : un vêtement porté par un homme n’a pas la même signification lorsqu’il est porté par une femme. Les hommes en robe sont puissants : papes, prêtres, imams, moines. Les femmes ne le sont pas : mannequins, mariées, princesses, ballerines. La tenue n’est pas la source du pouvoir, le sexe l’est.

Dans le monde des stéréotypes comme seule réalité sexuée, un pénis n’est pas forcément masculin, un clitoris pas toujours féminin. Elle est donc impossible d’expliquer pourquoi le repassage des seins où l’on utilise des pierres chaudes pour aplatir les seins naissants des filles dans certaines régions du Cameroun, est une violence spécifique contre les filles. De même, elle devient impossible de distinguer la circoncision des mutilations sexuelles car la seule façon de le faire est de distinguer d’abord le sexe masculin du sexe féminin.

Jeu des 7 erreurs

À gauche : image d’excision. À droite image d’une procédure de « nullification » en Californie pour devenir « non-binaire ».

Encore une fois, au cas où vous seriez tenté de rejeter tout cela comme les divagations lunatiques d’une féministe paranoïaque, voyez cet autre cas juridique : en 2020, des activistes transgenres se sont opposés à un projet de loi visant à interdire les mutilations génitales et sexuelles féminines dans l’État du Wyoming aux Etats-Unis au motif qu’elle rendrait illégale la « chirurgie de réassignation de genre » pour les enfants. Cet argument délétère n’a d’attrait que dans un contexte où le choix ou le consentement d’un individu désexué sont érigés comme uniques marqueurs du pouvoir, au lieu du sexe, féminin ou masculin.

Dans un tel contexte, elle devient également impossible de dénoncer que le déguisement en femmes par les hommes est misogyne. Or, ce n’est que grâce à leur statut supérieur que les hommes peuvent jouer au « double-je » des stéréotypes : un jour l’un, un jour l’autre ; comme un riche peut jouer au pauvre. La rivière ne coule qu’en aval. Nous, les femmes, ne pouvons pas nous déguiser en hommes pour nous moquer d’eux : les drag kings ne font pas partie de notre paysage culturel. Être un homme est une affaire sérieuse. Nous ne pouvons pas non plus être des drag queens : preuve que ce sont les femmes, et non les stéréotypes, qui sont moquées.

Le jeu des 7 erreurs (bis repetita placent)

En haut : pratique du « repassage des seins ». En bas : pratique du « bandage des seins ». Qu’est-ce-qui change ? Le lieu.

Le “millénaire de la femme créée par l’homme

Et Roger Vadim… créa un stéréotype

Alors que les stéréotypes fleurissent, des problématiques cruciales sont négligées. Si les stéréotypes font le sexe, qui fait les stéréotypes ? Qui conçoit, qui vend, qui dessine, qui sculpte, qui récolte les bénéfices ?

Parmi les grands travestis français, ces misogynes violents que la fameuse exception culturelle française a permis de déguiser en Génies Artistiques, du Marquis de Sade à Michel Houellebecq, on compte le réalisateur Roger Vadim. Le Roger Vadim, très peu doté génétiquement, a été catapulté dans l’Olympe artistique après avoir mis en scène Brigitte Badot dans Et Dieu créa la femme (1956). Ici, Roger, tout comme les couturiers parisiens, s’attribue le divin rôle de Créateur ; sauf qu’il ne créé pas un objet mais une femme — qui devient donc création du Maître et non plus être tout court — ou du moins son stéréotype.

Chirurgiens, stylistes, sculpteurs: les hommes coupent, sculptent et déforment les femmes pour nous faire entrer dans le moule étroit des stéréotypes. Insister sur la construction sociale et non masculine des stéréotypes sexués est une distraction. Femmes et hommes ne participent pas de façon égale à la perpétuation des stéréotypes et n’en tirent pas les mêmes profits. Si, de surcroît, on estime que le sexe lui-même est une construction sociale (donc plutôt masculine), nous femmes sommes alors condamnées à être définies à travers le regard et le fantasme des hommes.

À propos de la chirurgie, Naomi Wolf a écrit : « [si] nous ne commençons pas à en parler sérieusement, le millénaire de la femme créée par l’homme arrivera, et nous n’aurons plus d’issue. »  Et ce n’est pas en déplaçant des pions sur un échiquier que les règles du jeu vont changer. Nous, les femmes, en avons marre de jouer à ce jeu.

Dans ce court passage d’une émission turque des années 90, le drag queen le plus populaire du pays, Huysuz Virjin (jeu de mots sur vierge ronchon) demande à la chanteuse Yildiz Tilbe, repérée dans un cabaret, d’endosser les marqueurs de la subordiantion féminine comme lui. Elle le fait à contre-cœur : « Je peux pas rester comme je suis ? » demande-t-elle d’une fine voix. Face à l’incapacité totale de chanter dans un tel accoutrement, elle enlève tout. Une femme dans le public hurle : « Nous t’aimons comme tu es ». (Vidéo complète)

Cet article est ma propre adaptation à un public français de l’ article “Welcome to the sex stereotype clinic” publié sur 4w.pub.

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