Ecrit en novembre 2019, corrections mineures en janvier 2021.

Claire, trente-deux ans, infirmière célibataire poursuit son idéal d’amour dans un monde taillé pour les hommes. Les beaux dessins attendrissants et presque enfantins d’Aude Picault, contrastent avec le profond pessimisme de cette bande-dessinée qui ne nous laisse aucune illusion quant à la vie avec les hommes.
Claire enchaîne les histoires d’un soir ou plus correctement, elle est utilisée comme une dépanneuse dans une culture du jetable qui nous a convaincues que nous soumettre aux vouloirs d’hommes inconnus est plus salutaire qu’une partie de plaisir solitaire. Claire l’apprend bien vite à ses dépens, après plusieurs rejections par des hommes qui ne peuvent se résoudre à s’engager. Ses amies en couple ne sont pas mieux logées puisqu’elles sont obligées de rester constamment sur leurs gardes pour ne pas se faire apprivoiser comme l’ont été leurs mères. Claire aussi finit par goûter à la vie en couple avec un homme qui explique à son ami qu’en plus d’être sympa, cool, etc., elle suce bien. Très vite la vie avec un homme reprend les pires moments de solitude en y rajoutant des couches de pénisdébilité, comme celle du dédain masculin. Inévitablement ce dédain se manifeste dans le domaine sexuel avec des scènes où son copain tente de briser ses barrières sexuelles en l’humiliant —barrières qu’elle a pu maintenir car l’idéologie pornographique ne l’a pas encore atteinte. C’est en se confrontant avec des femmes – sa mère, sa kiné lesbienne, ses amies, sa médecin – que Claire réussira à se construire petit à petit, loin des hommes qui veulent la « vaginaliser », comme on vandaliserait un être devenu chose.
Dans les planches d’Aude Picault, l’état de schizophrénie auquel nous sommes poussées est mis en valeur par des pauses poétiques silencieuses. Dans une scène, Claire tente de se frayer un chemin au milieu de panneaux publicitaires célébrant le mariage et d’affiches de magazines promouvant la capitulation sexuelle. Idéal Standard est un petit bijou en bande-dessiné qui entre cynisme et délicatesse établit un espace féminin où la question de la misogynie est librement traitée et qui rappelle que se libérer des hommes c’est s’affirmer en tant que femme.
Lien vers le site d’Aude Picault pour découvrir l’ensemble de son oeuvre.